Le refus de prononcer la nullité d’un contrat d’entreprise malgré le défaut d’accès à la profession
Un jugement du Tribunal de première instance du Brabant Wallon, rendu le 13 janvier 2025 (R.G. 23/1520/A), interroge une problématique centrale en droit de la construction : un contrat d’entreprise conclu par un entrepreneur dépourvu des accès à la profession requis peut-il demeurer valide malgré cette irrégularité ? En optant pour le maintien du contrat, bien que l’absence de compétences professionnelles enregistrées soit établie, le tribunal privilégie une approche discrétionnaire qui semble heurter le caractère d’ordre public de la réglementation belge.
La loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante impose pourtant à toute entreprise exerçant une activité réglementée de prouver sa compétence professionnelle (art. 5, § 1er). L’arrêté royal du 29 janvier 2007 détaille les métiers concernés, tels que le gros œuvre, le plafonnage, les installations électriques ou les travaux de chauffage, tous soumis à un enregistrement préalable à la Banque-Carrefour des Entreprises. Ces normes visent à garantir la qualité des travaux, la sécurité des ouvrages et la protection des maîtres d’ouvrage. L’article 5.57 du nouveau Code civil, qui encadre la nullité des contrats contraires à l’ordre public, offre un cadre juridique renforçant cette exigence de conformité.
La jurisprudence qualifie ces règles d’ordre public et en tire des conséquences limpides. La Cour de cassation, dans son arrêt du 27 septembre 2018[1], juge qu’un contrat portant sur des travaux réglementés est nul si l’entrepreneur ne démontre pas, à sa conclusion, les compétences requises. La Cour d’appel de Bruxelles, le 17 janvier 2020, précise que tout engagement pris hors compétence professionnelle encourt une nullité absolue. De son côté, la Cour d’appel de Mons, le 29 mars 2016[2], insiste sur l’indivisibilité de cette sanction, qui s’applique à l’ensemble du contrat sans distinction entre travaux autorisés et non autorisés. Ces décisions reflètent un consensus : un contrat violant une norme impérative de protection publique ne peut produire d’effet juridique.
Dans l’affaire tranchée par le Tribunal de première instance du Brabant Wallon le 13 janvier 2025, l’entrepreneur exécute des travaux variés – installations électriques, chauffage, finitions – mais ne dispose, selon la Banque-Carrefour des Entreprises, que d’une autorisation pour le gros œuvre et la gestion de base, sans compétence pour l’entreprise générale ni pour les tâches spécialisées. Le jugement constate ce défaut d’accès à la profession, notant l’absence de preuve des qualifications nécessaires. Pourtant, il écarte la nullité, distinguant la nullité « textuelle » (explicitement prévue par la loi) de la nullité « virtuelle » (découlant de l’ordre public). Le tribunal considère que l’absence de sanction légale expresse lui confère un pouvoir d’appréciation et conclut que la nullité priverait les maîtres d’ouvrage de la garantie décennale, optant ainsi pour le maintien du contrat.
Cette position soulève plusieurs objections. D’abord, elle sous-estime le caractère absolu de la nullité en cas de violation de l’ordre public.[3] La Cour d’appel de Bruxelles, dans ses arrêts du 3 novembre 2017[4] et du 28 mai 2021[5], affirme que la nullité constitue la « sanction naturelle » d’un tel manquement, sauf justification exceptionnelle. Aucun motif convaincant n’émerge ici pour déroger à ce principe. L’argument de la garantie décennale, avancé pour justifier cette retenue, crée un paradoxe : si tout contrat touchant à la stabilité – fréquent en construction – devait être préservé pour cette raison, la nullité absolue perdrait toute portée. L’arrêt du 19 novembre 2021 de la Cour d’appel de Bruxelles rejette cette logique, soulignant que la nullité s’impose même pour des travaux de stabilité, car « rien ne justifie de s’écarter de la sanction naturelle d’une telle violation ».[6] Maintenir un contrat conclu par un entrepreneur incompétent contredit l’objectif de la loi de 1998, qui protège les maîtres d’ouvrage contre les risques liés à l’incompétence.
Ensuite, cette décision méconnaît la finalité des règles d’accès à la profession. La Cour d’appel de Liège, dans son arrêt du 4 mai 2018[7], rappelle que ces accès, vérifiables via la Banque-Carrefour des Entreprises, ne se présument pas d’un diplôme ou d’une expérience : un enregistrement formel demeure requis. Cette exigence garantit la transparence et la fiabilité du secteur. En validant un contrat conclu par un entrepreneur non qualifié, le tribunal expose les maîtres d’ouvrage à des malfaçons potentielles, souvent coûteuses à corriger, comme l’illustre la nécessité d’interventions ultérieures par d’autres professionnels dans ce cas. Loin d’être une formalité, l’accès à la profession constitue un rempart contre les pratiques préjudiciables.
Enfin, cette approche risque de poser un précédent problématique. En plaçant la garantie décennale au-dessus de l’ordre public, le tribunal pourrait encourager les entrepreneurs à ignorer les exigences d’accès, certains que leurs contrats resteront protégés en justice. La Cour d’appel de Bruxelles, dans son arrêt du 3 novembre 2017[8], écarte toute pertinence à la connaissance par le maître d’ouvrage du défaut d’accès, soulignant que l’ordre public prévaut sur les considérations individuelles. Cette rigueur assure une sanction universelle, essentielle à la crédibilité du secteur de la construction.
L’article 5.57 du nouveau Code civil aurait pu conforter la nullité, en consacrant la prohibition des conventions contraires à l’ordre public. Pourtant, le Tribunal de première instance du Brabant Wallon, dans son jugement du 13 janvier 2025, préfère une interprétation souple, au détriment de la cohérence juridique. Cette flexibilité fragilise la confiance dans un domaine où la compétence professionnelle conditionne la sécurité et la durabilité des ouvrages.
En somme, le refus de prononcer la nullité dans ce jugement s’éloigne de l’unanimité jurisprudentielle et doctrinale belge. Les arrêts de la Cour de cassation (27 septembre 2018), des Cours d’appel de Bruxelles (3 novembre 2017, 19 novembre 2021, 28 mai 2021), de Mons (29 mars 2016) et de Liège (4 mai 2018, 15 février 2018[9]) convergent vers une règle claire : un contrat d’entreprise conclu sans accès à la profession est nul de plein droit. Cette nullité, opérant ex tunc, protège les maîtres d’ouvrage en restaurant l’état antérieur à l’accord. Toute exception à ce principe exige une justification solide, absente ici. Une application stricte de la nullité absolue reste indispensable pour réaffirmer que la compétence professionnelle demeure le socle du droit de la construction, au service de la sécurité et de la qualité des ouvrages.
[1] Cass., 27.09.2018, C.17.0669.F, www.juridat.be.
[2] Mons, 2e Ch., 29.03.2016, Res. Jur. Imm., 2016, p.347.
[3] D. Dessard, « Contrat d'entreprise de construction », Rép. not., T. IX, Contrats divers, Livre 8, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 116.
[4] Cour d'appel de Bruxelles - Arrêt n° F-20171103-6 (2012-ar-1359) du 3 novembre 2017, www.juridat.be.
[5] Cour d'appel Bruxelles - Arrêt n° 2017-AR-690 du 28 mai 2021, juportal.be
[6] Cour d'appel Bruxelles - Arrêt n° 2018/AR977 du 19 novembre 2021, juportal.be ; O. Haenecour et P. Ballez, « Les conséquences du défaut d’enregistrement d’une activité à la banque carrefour sur le contrat d’entreprise », R&J, 2019/4, p. 278.
[7] Cour d'appel de Liège - Arrêt n° F-20180504-5 (2016/RG/484) du 4 mai 2018, www.juridat.be.
[8] Op. cit. Cour d'appel de Bruxelles, 3 novembre 2017, n° F-20171103-6.
[9] Cour d'appel de Liège - Arrêt n° F-20180215-1 (2017/RG/76) du 15 février 2018, www.stradalex.com.
La loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante impose pourtant à toute entreprise exerçant une activité réglementée de prouver sa compétence professionnelle (art. 5, § 1er). L’arrêté royal du 29 janvier 2007 détaille les métiers concernés, tels que le gros œuvre, le plafonnage, les installations électriques ou les travaux de chauffage, tous soumis à un enregistrement préalable à la Banque-Carrefour des Entreprises. Ces normes visent à garantir la qualité des travaux, la sécurité des ouvrages et la protection des maîtres d’ouvrage. L’article 5.57 du nouveau Code civil, qui encadre la nullité des contrats contraires à l’ordre public, offre un cadre juridique renforçant cette exigence de conformité.
La jurisprudence qualifie ces règles d’ordre public et en tire des conséquences limpides. La Cour de cassation, dans son arrêt du 27 septembre 2018[1], juge qu’un contrat portant sur des travaux réglementés est nul si l’entrepreneur ne démontre pas, à sa conclusion, les compétences requises. La Cour d’appel de Bruxelles, le 17 janvier 2020, précise que tout engagement pris hors compétence professionnelle encourt une nullité absolue. De son côté, la Cour d’appel de Mons, le 29 mars 2016[2], insiste sur l’indivisibilité de cette sanction, qui s’applique à l’ensemble du contrat sans distinction entre travaux autorisés et non autorisés. Ces décisions reflètent un consensus : un contrat violant une norme impérative de protection publique ne peut produire d’effet juridique.
Dans l’affaire tranchée par le Tribunal de première instance du Brabant Wallon le 13 janvier 2025, l’entrepreneur exécute des travaux variés – installations électriques, chauffage, finitions – mais ne dispose, selon la Banque-Carrefour des Entreprises, que d’une autorisation pour le gros œuvre et la gestion de base, sans compétence pour l’entreprise générale ni pour les tâches spécialisées. Le jugement constate ce défaut d’accès à la profession, notant l’absence de preuve des qualifications nécessaires. Pourtant, il écarte la nullité, distinguant la nullité « textuelle » (explicitement prévue par la loi) de la nullité « virtuelle » (découlant de l’ordre public). Le tribunal considère que l’absence de sanction légale expresse lui confère un pouvoir d’appréciation et conclut que la nullité priverait les maîtres d’ouvrage de la garantie décennale, optant ainsi pour le maintien du contrat.
Cette position soulève plusieurs objections. D’abord, elle sous-estime le caractère absolu de la nullité en cas de violation de l’ordre public.[3] La Cour d’appel de Bruxelles, dans ses arrêts du 3 novembre 2017[4] et du 28 mai 2021[5], affirme que la nullité constitue la « sanction naturelle » d’un tel manquement, sauf justification exceptionnelle. Aucun motif convaincant n’émerge ici pour déroger à ce principe. L’argument de la garantie décennale, avancé pour justifier cette retenue, crée un paradoxe : si tout contrat touchant à la stabilité – fréquent en construction – devait être préservé pour cette raison, la nullité absolue perdrait toute portée. L’arrêt du 19 novembre 2021 de la Cour d’appel de Bruxelles rejette cette logique, soulignant que la nullité s’impose même pour des travaux de stabilité, car « rien ne justifie de s’écarter de la sanction naturelle d’une telle violation ».[6] Maintenir un contrat conclu par un entrepreneur incompétent contredit l’objectif de la loi de 1998, qui protège les maîtres d’ouvrage contre les risques liés à l’incompétence.
Ensuite, cette décision méconnaît la finalité des règles d’accès à la profession. La Cour d’appel de Liège, dans son arrêt du 4 mai 2018[7], rappelle que ces accès, vérifiables via la Banque-Carrefour des Entreprises, ne se présument pas d’un diplôme ou d’une expérience : un enregistrement formel demeure requis. Cette exigence garantit la transparence et la fiabilité du secteur. En validant un contrat conclu par un entrepreneur non qualifié, le tribunal expose les maîtres d’ouvrage à des malfaçons potentielles, souvent coûteuses à corriger, comme l’illustre la nécessité d’interventions ultérieures par d’autres professionnels dans ce cas. Loin d’être une formalité, l’accès à la profession constitue un rempart contre les pratiques préjudiciables.
Enfin, cette approche risque de poser un précédent problématique. En plaçant la garantie décennale au-dessus de l’ordre public, le tribunal pourrait encourager les entrepreneurs à ignorer les exigences d’accès, certains que leurs contrats resteront protégés en justice. La Cour d’appel de Bruxelles, dans son arrêt du 3 novembre 2017[8], écarte toute pertinence à la connaissance par le maître d’ouvrage du défaut d’accès, soulignant que l’ordre public prévaut sur les considérations individuelles. Cette rigueur assure une sanction universelle, essentielle à la crédibilité du secteur de la construction.
L’article 5.57 du nouveau Code civil aurait pu conforter la nullité, en consacrant la prohibition des conventions contraires à l’ordre public. Pourtant, le Tribunal de première instance du Brabant Wallon, dans son jugement du 13 janvier 2025, préfère une interprétation souple, au détriment de la cohérence juridique. Cette flexibilité fragilise la confiance dans un domaine où la compétence professionnelle conditionne la sécurité et la durabilité des ouvrages.
En somme, le refus de prononcer la nullité dans ce jugement s’éloigne de l’unanimité jurisprudentielle et doctrinale belge. Les arrêts de la Cour de cassation (27 septembre 2018), des Cours d’appel de Bruxelles (3 novembre 2017, 19 novembre 2021, 28 mai 2021), de Mons (29 mars 2016) et de Liège (4 mai 2018, 15 février 2018[9]) convergent vers une règle claire : un contrat d’entreprise conclu sans accès à la profession est nul de plein droit. Cette nullité, opérant ex tunc, protège les maîtres d’ouvrage en restaurant l’état antérieur à l’accord. Toute exception à ce principe exige une justification solide, absente ici. Une application stricte de la nullité absolue reste indispensable pour réaffirmer que la compétence professionnelle demeure le socle du droit de la construction, au service de la sécurité et de la qualité des ouvrages.
[1] Cass., 27.09.2018, C.17.0669.F, www.juridat.be.
[2] Mons, 2e Ch., 29.03.2016, Res. Jur. Imm., 2016, p.347.
[3] D. Dessard, « Contrat d'entreprise de construction », Rép. not., T. IX, Contrats divers, Livre 8, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 116.
[4] Cour d'appel de Bruxelles - Arrêt n° F-20171103-6 (2012-ar-1359) du 3 novembre 2017, www.juridat.be.
[5] Cour d'appel Bruxelles - Arrêt n° 2017-AR-690 du 28 mai 2021, juportal.be
[6] Cour d'appel Bruxelles - Arrêt n° 2018/AR977 du 19 novembre 2021, juportal.be ; O. Haenecour et P. Ballez, « Les conséquences du défaut d’enregistrement d’une activité à la banque carrefour sur le contrat d’entreprise », R&J, 2019/4, p. 278.
[7] Cour d'appel de Liège - Arrêt n° F-20180504-5 (2016/RG/484) du 4 mai 2018, www.juridat.be.
[8] Op. cit. Cour d'appel de Bruxelles, 3 novembre 2017, n° F-20171103-6.
[9] Cour d'appel de Liège - Arrêt n° F-20180215-1 (2017/RG/76) du 15 février 2018, www.stradalex.com.