La réforme des droits de greffe, un obstacle de plus pour l’accès à la justice

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La loi du 28 avril 2015 modifiant le Code des droits d'enregistrement, d hypothèque et de greffe est entrée en vigueur ce 1er juin, en vue de réformer le calcul des montants pour les droits de greffe.

Il s'agit de la taxe perçue lors de l'inscription d'une nouvelle affaire sur l'agenda du tribunal.

Auparavant, le montant du droit de greffe variait en fonction du type de rôle, de juridiction et de procédure. Celui-ci se calcule actuellement en fonction de la juridiction, du nombre de demandeurs et du montant de la demande.

L'objectif affiché est de simplifier et de moderniser le calcul du droit de mise au rôle et de supprimer les distinctions qui existaient auparavant par rapport au type d'acte introductif d'instance.

Pour pouvoir effectuer ce nouveau calcul, la requête ou la citation doit dès lors être accompagnée d'une déclaration pro fisco, par laquelle le justiciable, ou son représentant, doit préciser le nombre de demandeurs et donner une estimation chiffrée de sa demande.

Sous couvert de justice équitable qui permettrait de corréler la taxe au montant de la demande, il ne s'agit que d'une nouvelle indexation de l'impôt qui freine davantage l'accès aux tribunaux pour les justiciables.

Par la précédente loi de 2012 modifiant le montant de la mise au rôle, celui-ci avait été indexé de 15 %, ce qui devait rapporter 5 millions d'euros à l'Etat Fédéral. Partant de ce constat, l'indexation actuelle passe dans certains cas du simple au double. A titre illustratif, le montant pour les droits de mise au rôle des affaires introduites par le passé par voie de requête devant la Justice de Paix (la juridiction la plus proche du justiciable) se chiffrait à 40 € , alors que celui s'élève actuellement à 80 € pour les demandes de plus de 2.500 €. L'impôt relatif au droit de greffe évolue ainsi au gré des différentes juridictions, avec un montant maximal pouvant atteindre 1.200 € devant la Cour de Cassation.

Le paiement d'un droit de mise au rôle par partie demanderesse a pour conséquence inéluctable que des parties demanderesses avec des intérêts ou, à tout le moins, des demandes distinctes, se verront payer deux fois l'impôt. Une partie peut en effet avoir une demande de dédommagement alors que l'autre requérant peut avoir une demande non évaluable en argent, qui tombe par conséquent sur le forfait propre à cette catégorie de demande. Notons qu'un seul droit de mise au rôle ne sera jamais dû pour les affaires introduites pour compte de l'Etat.

Auréolés de préceptes démocratiques, les droits de mise au rôle bénéficient néanmoins d'un régime spécial et nettement moins onéreux voire parfois sont exonérés pour les litiges introduits devant les tribunaux de la famille, du travail et les chambres fiscales. L'image se voit cependant quelque peu écornée si l'on considère que la majorité des affaires qui sont introduites devant les tribunaux du travail et des chambres fiscales le sont à l'initiative ou finalement à charge de l'ONEm, de l'ONSS ou encore du fisc.

Dans cette même logique, aucune déclaration pro fisco ne doit d ailleurs être déposée devant ces juridictions lorsque le litige porte sur une demande inférieure à 250.000 €.

Cette nouvelle déclaration pro fisco constitue par ailleurs un acte administratif supplémentaire pour les huissiers de justice, contre une intervention financière demeurant identique. Quant aux greffiers, leur charge de travail est encore alourdie par le calcul du droit à payer sur la base des informations reprises dans la déclaration, alors que le nombre d'effectifs se voit écrémé d'année en année.

Dans la pratique, les greffiers ne pourront offrir la disponibilité que requiert cette nouvelle mesure pour preuve les heures d'ouvertures des greffes qui sont de plus en plus réduites de sorte que le justiciable sera de facto dans l'impossibilité d'encore introduire une affaire lui-même devant un tribunal sans se voir obligé d'être assisté par un conseil juridique, d'autant que cette déclaration pro fisco doit être déposée sous peine de nullité de l'acte introductif.

Ce calcul de montants forfaitaires en fonction de la fourchette de prix de la demande est une copie à l'identique de l'indemnité de procédure instaurée en 2007 pour la récupération d'une partie des frais d'avocats par la partie ayant obtenu gain de cause. Ce système a été décrié par la doctrine dès son apparition et a été sujet à autant de discussions dans la jurisprudence quant à son fonctionnement. C'est en effet une ineptie de lier les frais d'avocats et, maintenant, les frais de mise au rôle au montant de la demande, alors que ce dernier n'a aucune incidence sur la charge de travail et sur les actes à accomplir tant par l'avocat que par le greffier pour fixer une affaire.

Force est de constater que des droits fondamentaux, tels que l'accès à la justice pour tout un chacun et la distinction des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, sont sérieusement mis à mal.

Le portail du Service Public Fédéral de la Justice ne se cache d'ailleurs pas d'une tentative de désengorgement de la justice - dans l'espoir de résorber l'arriéré judiciaire - en créant un obstacle financier supplémentaire à l'entrée de la justice. Au citoyen de trouver de nouvelles solutions constructives pour régler un différend (sic), alors que celui-ci doit de surcroît supporter 21 % de TVA sur les honoraires des avocats depuis 2014.

Là où l'introduction d une affaire nécessitait, outre les questions de fond d'un dossier, de se pencher sur celles de la recevabilité et de la compétence des tribunaux, s'ajoute actuellement l'exercice de réduire tant que faire se peut les frais qui y sont liés.

En l'absence de jurisprudence eu égard à la jeunesse de cette disposition, on ne peut s'empêcher de déjà penser aux astuces qui seront élaborées pour diminuer ces frais.

Nous verrons plus que probablement fleurir des demandes évaluées ex aequo et bono pour des montants provisionnels de 1 €, qui seront ensuite évalués concrètement en cours d'instance. Rien n'empêche en effet d'introduire une affaire à titre conservatoire, si ce n'est déjà pour préserver les droits d'une partie à l'aune d'une prescription imminente, et d'étendre ou de modifier la demande en cours de procédure, au besoin à l'intervention d un expert judiciaire.

La tentation est d'autant plus réelle que la loi est très vague quant aux sanctions qui seraient liées à une déclaration pro fisco dont le montant serait évalué erronément.

Le droit de mise au rôle n'étant dû qu à l'introduction d'un dossier, des parties avec des demandes connexes attendront que l'affaire soit introduite avant d'intervenir volontairement et gratuitement en cours de procédure. Ceci aura pour conséquence de multiplier les demandes incidentes et de répéter les audiences de mise en état de l'affaire avec différents calendriers de procédure, de sorte que les audiences n'en seront que plus chargées.

On ne peut par conséquent que s'étonner que des droits fondamentaux soient mis à mal pour des mesures dont on sait déjà aujourd'hui que l'implémentation sera ardue et que la portée tant structurelle que financière en sera limitée.

Joachim Bourry est avocat au barreau de Bruxelles.

Publié 23-06-2015